Ca aussi c’était une étape importante.
C’était Armelle qui dort à la belle étoile dans la forêt.

C’était Armelle-des-loups -qui ne peuplent pourtant pas les forêts du Chemin mais dormir dans la forêt, c’est quelque chose que je voulais faire.
J’aurais aimé le faire plus souvent. Je ne l’ai fait que deux fois. Parce qu’il fait froid et que je dors mal dans mon hamac.

Armelle-des-loups, c’est la grande dame de 40+ ans qui se rappelle la petite Julie de son livre d’enfance, cette petite fille esquimau qui quitte son père parti s’installer en ville avec sa nouvelle femme, parce qu’elle veut rester en contact avec la nature, parce qu’elle ne veut pas quitter sa patrie la nature.
Julie des Loups quitte le foyer de son père et s’en retourne toute seule vers son village natal, à pieds.
Elle rencontre une meute de loups par qui elle se fait apprivoiser afin de faire le voyage en sécurité. Elle connaît les bêtes de sa patrie la nature, elle sait que les loups, à cette époque, sont en transhumance vers chez elle.

Elle passe d’abord des jours à les observer de loin, étudie comment ils se comportent les uns avec les autres, comment il faut y faire avec le chef :
les mâles lui mordillent le dessous de la mâchoire pour lui montrer leur soumission; Julie ira elle aussi lui mordiller le dessous de la gueule pour se faire officiellement accueillir dans la meute.
Julie apprend que les mamans loups rassurent leurs petits en leur caressant la croupe de haut en bas.
Depuis, Armelle la grande caresse la croupe des chiens pour leur faire du bien.

Cette nuit-là j’ai dormi dehors, dans un bois à 600m d’un gîte, d’abord parce que je n’avais plus d’argent, mais aussi parce que je venais de rencontrer l’arbre de ma vie et que je n’avais plus peur de la forêt.

Un peu plus tôt dans la journée, en traversant des champs par les talus qui les bordent, j’étais tombée sur un petit arbre double : deux jeunes troncs qui s’élançaient au milieu de plein d’autres, venant de la même souche. Des arbres jumeaux. Jeunes. Pareils à mille autres.
L’un d’eux m’a happée.

Je ne sais pas ce qu’il s’est passé. Il m’a peut-être parlé. Pourquoi l’ai-je d’abord regardé ? Pourquoi me suis-je arrêtée ? Pourquoi suis-je restée aimantée par lui ?
C’était un petit arbre tout simple, pas plus gros qu’une jambe mais bien plus haut qu’un gens.
Je suis restée longtemps avec lui, je lui ai parlé, il m’a parlé. On s’est juré fidélité.

 

Comme on s’était juré fidélité, il est parti avec moi.
Un arbre, ça reste là où ça naît, mais un humain ça bouge tout le temps, surtout quand c’est en chemin. Ce n’est pas pratique pour vivre ensemble.
Moi je n’avais pas envie de m’enraciner sur ce chemin des champs, et lui il avait envie de voir du pays. Alors il est venu avec moi.

Sur la route, on a croisé plein de gens de sa famille. Des oncles, des cousins, plein d’individus qui nous faisaient une haie d’honneur pour nos fiançailles.
Il y en avait certains qui faisaient la tête, ils n’étaient pas contents de le voir partir. « Un arbre, ça ne part pas, Sylvio ». Je l’avais baptisé Sylvio. C’était un peu facile mais c’était venu comme ça avait pu.
On courait. Un vieux lui a dit « Fais attention ! C’est une humaine, ça fatigue vite les humains ! » Mais on était jeunes et désobéissants, on s’en fichait, on courait en riant de cette nouvelle liberté pour lui et de cette état incongru pour moi. Imaginez, vous vous retrouvez comme dans vos rêves, au pays des arbres, ils sont vivants, ils vous parlent et vous les voyez comme des individus très identifiables, avec des caractères, des relations, des humeurs…

Quand j’étais petite, j’avais rêvé une nuit que j’arrivais, par les arbustes d’un talus, à l’orée du pays de Colargol, mon nounours chanteur adoré. J’étais tellement émerveillée d’être si proche de son monde et pourtant je ne pouvais ouvrir les yeux… C’était tragique.

Là, j’y étais. Il n’y avait pas Colargol mais il y avait Sylvio, qui deviendrait plus tard Xuntzu, quand les consonnances de Galice m’inspireraient un autre nom que celui qui m’était d’abord venu mais ne convenait guère. Sylvio était le nom donné par une inculte, une étrangère qui essaie de nommer ce qu’elle ne connaît pas par des sons qui lui rappellent ce qu’elle connaît. Pour identifier l’autre.
Petit à petit, au fur et à mesure que je cheminais avec lui (pas tous les jours et pas toute la journée mais de façon très régulière), son nom m’a échappé et il est devenu un truc imprononçable et qui ne ressemble à rien de mon langage : Xuntsu.

 Bref, ce jour là je suis entrée en terre d’arbres et je ne l’ai plus jamais quittée.
Tout au long de mon Chemin, j’ai croisé des arbres qui m’ont délivré des messages de sagesse. Ils m’appelaient vers eux, je m’approchais, je collais mon oreille à leur tronc et une phrase venait. Une seule, toujours.
S’ils ne voulaient pas de moi, impossible d’aller me coller à eux. Je sentais qui m’appelait et qui ne m’appelait pas.

Une fois, traversant une forêt décimée par l’exploitation forestière, je n’osais regarder le désastre. C’était vraiment comme de traverser une ville amie bombardée par les hommes de mon pays lors d’une guerre imbécile.
J’avais l’impression d’être indécente dès que je levais le regard. Il restait quelques arbres debout, allez savoir pourquoi ils avaient été préservés au milieu de tous leurs frères abattus. C’était cruel.

Moi je filais doux en regardant par terre et mon ami Xuntsu m’a dit « Oui tu as raison, ils ne t’aiment pas, ils sont en colère. Ils ne te feront rien car je suis avec toi mais ne t’attarde pas. »
Je ne me suis pas attardée. J’avais du dégoût et de la honte mêlée dans le ventre.

Pourtant j’aime les livres et les beaux papiers…

 Cette nuit-là, donc, j’ai dormi dans les bois, à l’ermitage de Saint Jean-Baptiste, mais c’est Xuntsu qui a veillé sur moi toute la nuit. C’est Xuntsu qui a porté mon hammac et m’a bercée dans le petit vent froid de la nuit. C’est lui qui, avec ses frères, m’a chanté la chanson des feuilles sans lune pour m’endormir dans le froid. C’est lui qui m’a préservée de la peur et du désespoir de l’inconfort nocturne qui empêche de se reposer. C’est lui qui, au matin, m’a emplie de le joie du jour, celle-là qui apporte comme une évidence la simplicité à être soi et retire de l’esprit toute envie de s’excuser de quoi que ce soit.

600m plus bas, je suis rentrée dans l’auberge que j’avais snobée la veille, pour demander un café. Le petit déj était terminé, tout le monde était déjà parti mais la femme qui faisait le ménage m’a emmenée au réfectoire et m’a proposé aussi à manger. « Le café c’est gratuit pour les pèlerins. Si tu manges quelque chose, tu peux mettre ton donativo ici. »
Et puis dehors il y avait les mûres sur les murs.

Et dans tout ça il y avait tellement de vie, tellement d’harmonie que peut-être j’en aurais pleuré si je ne m’étais pas sentie aussi remplie de moi-même, aussi… tout simplement bien.

Voilà comme je suis entrée en Arbolie.

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19 août 2017 à 20:41
Ayééé j’ai fait ma première vraie nuit à la belle étoile, en plein milieu de nulle part, toute seule, dans mon hamac accroche a deux arbres !!!!! A l’hérmitage dit de saint Jean Baptiste, avec sa petite chapelle en ruines protégée par un hangar pas très joli et dont je n’ai pas bien compris le fonction. Je ne sais pas l’histoire du lieu mais pas grave. Nuit noire (toute petite lune), grand silence, un peu de vent et beaucoup de froid mais trop jouissif !!!!!